CHAP 18
Salle blanche
La pièce était entièrement blanche, du sol au plafond. Sa porte d’entrée ne se devinait qu’à l’ombre infinitésimale dessinant l’ouverture, de même que la porte à guichet située en face.
Deux gardes armés en treillis et cagoules blancs se tenaient à deux angles opposés
Une grande silhouette couverte d’un manteau noir traînant jusqu’au sol et encapuchonnée observait par la fente du guichet, tout en caressant le chat gris qu’elle transportait sur ses bras engoncés dans une espèce d’armure métallique.
Une femme de petite taille, aux courts cheveux bruns et frisés, vêtue d’un jean et d’une blouse blanche, se tenait à côté, un épais bloc note en main, tout en rongeant nerveusement le capuchon d’un stylo tenu dans l’autre.
- Maître du mal : Voici donc notre sujet… ? Qu’a-t-il de particulier ?
- Professeure Von Spontz (avec un accent d’Europe de l’est prononcé) : Nous affons constaté une très nette évoluzion du zujet, mein Herr ! A zon arrivée il était catatonique… Maintenant il zemble répéter en boucle la même phraze… Une hiztoire de mazque déforeur de monde… Arrh, et zes chefeux sont defenus tout blancs il y a une heure ! Je n’affais jamais fu za !
- Maître du mal (se frappant le front de la main ne tenant pas le chat) : Eglantine… vous ai-je déjà dit à quel point votre imitation du docteur Follamour était mauvaise ?
- Professeure Von Spontz (avec un parler gouailleur à la Arletty) : Pfff, si on peut plus rigoler un peu… Bref, les symptomes sont surprenants. J’ai vérifié, Bones et Sinclar n’ont jamais provoqués ce type de réaction jusqu’à présent. Ça ressemble plus à une forme de stress post traumatique du genre pelade, mèche blanche, etc… mais en accéléré. Il a dû subir une expérience traumatisante.
- Maître du Mal : son délire semble confirmer le rapport de Sinclar et Bones. Ils ont indiqué que le sujet aurait regardé le ciel et hurlé les mêmes élucubrations…
- Professeure Von Spontz : en tout état de cause, il n’y aura rien à en tirer tant qu’il sera dans cet état là… Je propose qu’on le sédate… un repos forcé devrait le sortir de sa transe délirante.
- Maître du Mal : (frappant le mur du poing, y imprimant la trace de ses phalanges gantées d’acier) C’est très contrariant ! Bon, faites au mieux, mais faites vite ! Le jour prophétisé approche et ce type en est la clé !
- Professeur Von Spontz : à vos ordre Maître !
Une fois le sinistre personnage sorti, elle jeta à son tour un œil par le judas.
Dans la petite pièce capitonée, engoncé dans une camisole de force, ce qui était manifestement un être humain se tortillait au sol en laissant de grandes trainées de salive et de larmes mélangées. Un instant son visage ravagée par une incoercible panique se tendit vers l’observatrice…
- Geniet : Il… va… venir… tout… dévorer… Il… est… tout… proche…
Hôpital Georges Pompidou
Mlle Scarlett sentait les assauts de la fatigue depuis plusieurs heures. Malgré tout, elle avait continué à tendre les instruments au jeune interne qui se concentrait sur la jeune femme endormie sur la table d’opération.
Une sixième balle tinta dans la cuvette en inox posée à côté du champ opératoire.
- Nox : Je crois qu’on a eu la dernière ! Je finis de cautériser les capillaires… voilà et on va pouvoir refermer. Une aiguille de 6 s’il vous plait.
Comme un robot, la jeune femme lui passa sans un mot le matériel de suture.
- Nox : Hé bien ! Voilà qui est fait. Retournons là pour vérifier qu’il n’y ait pas une autre plaie dans le dos…
A quelques mètres de là, dans le bloc voisin, le Docteur No extrayait lui aussi quelques grammes de plomb à quelques millimètres du rein de cette étrange femme aux prothèses mécaniques.
A ses côtés, totalement imperturbable, Mademoiselle Nya passait scalpels, clamps et autre gaze à l’inépuisable chirurgien.
- Dr No : Ah, très chère, je préfère quand même les patients qui n’arrachent pas les écrans des murs et qui n’essaye pas de me dévorer l’épaule…
- Mlle Nya : Il est vrai que ce démon nous a donné du fil à retordre !
- Dr No : Mais qu’est-ce qui leur a pris de laisser une telle entité envahir le corps d’une gamine ?
- Mlle Nya : Je pense plutôt que c’est l’inverse…
- Dr No : Comment ça ?
- Mlle Nya : Ah c’est vrai, vous n’étiez pas en salle de réa après l’opération ! Ce Yokaï… c’est la gamine de l’autre jour dans le parking !
- Dr No : Quoi ? La petite boule de fourrure qui avait fini sous un scooter avant que la foldingue ne tente de me trucider à coup d’extincteur ?
- Mlle Nya : la « foldingue » comme vous dites est en ce moment dans l’autre bloc…
- Dr No : Mais pourquoi faut-il que tous ces tarés de super héros et super vilains viennent régler leurs comptes dans mon hôpital ? Ah, ça y’est, je l’ai ! Vite une compresse… merci ! Cette femme est extraordinaire !
- Mlle Nya : Laquelle ? Le renard, la serial killeuse aux extincteurs où celle-là ?
- Dr No : notre patiente actuelle… ses prothèses relèvent d’une ingénierie qui dépassent la simple médecine… Faudra trouver un expert pour les réparer correctement… Mais il est vraiment surprenant qu’elle ait tenu bon avec tout ce qu’elle a pris… Les humains ne cesseront jamais de me surprendre ! Un clamp… là… aspiration… voilà. Bon, une greffe de rate évitée, une !
- Mlle Nya : au fait, avec tout ça j’ai complètement oublié de vous demander comment c’était passé…
- Dr No : Comme d’habitude. Et la réunion qui a suivit a levé les mêmes protestations des mêmes intervenants… Dominique m’a rapporté que ça avait crisé là-haut… et que son boss a dû intervenir en personne… Ah ah ah, j’aurais aimé être une petite souris pour voir la tronche du barbu sortir de sa retraite silencieuse pour rappeler à l’ordre ses sous-fifres. Aspiration… merci.
- Mlle Nya : Fil de 5 ou fil de 6 ?
- Dr No : je vous laisse le choix des armes très chère…
- Mlle Nya : je… je peux ?
- Dr No : vous commencez officiellement votre internat dans quinze jours et en savez déjà plus que toute la faculté de médecine réunie… Et voilà ! le dernier trou est nettoyé ! Elle va pouvoir rejoindre les autres… Allez-y.
Mlle Nya, une lueur de plaisir dans les yeux caressa très délicatement la peau à vif autour de la chair déchirée par la plaie qu’une balle de 9 mm avait provoquée. La sensation au bout de ses doigts gantés de latex quand l’aiguille pénétra l’épiderme manqua de la faire frissonner.
Elle prit tout son temps pour suturer chacune des dix sept plaies qui dessinaient comme une constellation dans le dos de cette superbe femme dont les membres avaient été remplacés par du métal et du cuir savamment entrelacés et capables de reproduire tout ce que des membres naturels faisaient, et même plus. Elle laissa sa main s'attarder au bas du dos, se mordant la lèvre, une étrange chaleur dans l'estomac... Comme le docteur avait du en profiter... enfoncer sa lame acérée dans cette chair sans défense, sentir le sang chaud couler au bout de ses doigts... Elle secoua la tête pour chasser ses pensées
Le résultat de ses travaux de coutures aurait été digne de figurer dans des manuels d’enseignement, au risque de se voir taxer de photomontages. Le hochement de tête admiratif de son mentor qui l’avait observée avec attention fit monter le rose à ses joues.
- Dr No : Bravo pour ce travail. Amenez là avec les autres. Je vais allez jeter un coup d’œil aux prouesses de notre jeune poulain à côté et m’occuperait de la gouvernante ensuite.
Mlle Nya approcha un brancard et le Dr No y transféra sans aucun effort le corps endormi de Sam avant de passer dans le petit vestibule de préparation pour changer de tenue chirurgicale.
Il jeta au passage un regard désolé sur son beau costume en tweed que le démon noir avait réduit en charpie plus tôt dans la soirée.
Enfin équipé de neuf, il poussa la porte du deuxième bloc à la seconde où l’alarme de l'électrocardiogramme se mit à hurler alors qu’une flaque de sang s’épanchait soudain de part et d’autre du tissu vert du champ opératoire.